Ma maison est française, ma terre est russe
Comment Nikolaï Dronnikov est devenu le chroniqueur de notre diaspora à Paris et a immortalisé Notre-Dame
Kolya, tu es un titan, les montagnes grondent
Kolya, tu es un homme, les prés chantent
Kolya, tu es un maître, les rivières chuchotent
Kolya, tu es un ami, Aïgui grince
— Gennady Aïgui à Nikolaï Dronnikov
Dans la ville pittoresque de Honfleur, sur la côte atlantique, une exposition intitulée “Nikolai Dronnikov : l'âme russe de Paris” accueille ses visiteurs. Elle est consacrée à l'artiste de 94 ans, un Doyen installé en France au début des années 1970.

- La rétrospective actuelle de Nikolai Dronnikov montre Paris, sa beauté d'antan, ainsi que des paysages russes, des églises et des autoportraits. Mais peu importe ce qu'il peint, nous ressentons l'âme d'un grand peintre, a déclaré la galeriste de « La Brocanterie » à «Literaturnaya Gazeta». -
Pour nous, il est le plus russe des peintres français et le plus français des peintres russes. Depuis 2008, nous exposons Dronnikov à Honfleur, année après année, avec un succès jamais démenti », rappelle la galeriste.
- Des expositions ont été organisées également à Nice, Marseille, Strasbourg, dans le château de Villandry sur la Loire et, bien sûr, à Paris, où Nikolai a exposé ses œuvres non seulement dans des galeries, mais aussi à la Bibliothèque nationale de France.
Aucun des maîtres russes n'a consacré autant de tableaux à la Capitale : il a peint la cathédrale Notre-Dame en toute saison et à toute heure du jour, ses ponts et la vie des clochards parisiens.
Certaines œuvres touchantes représentent le couvent Pokrovsky, fondé après la Seconde Guerre mondiale à Bussy-en-Othe en Bourgogne. De nombreux tableaux représentent des lieux typiquement russes – des cathédrales, des monastères, des foires, des villages enneigés…. En même temps, les motifs français font souvent écho aux réminiscences russes.
Nikolai Egorovich Dronnikov s'est fait connaître comme « chroniqueur de la diaspora russe » - avec ses portraits de compatriotes célèbres de différentes générations, tels que : la princesse et écrivaine Zinaida Shakhovskaya, Irina Odoevtseva, Serge Lifar, Alexandre Soljenitsyne, Andrei Tarkovski, Mstislav Rostropovitch, ainsi que Bulat Okudzhava, Bella Akhmadulina, Iosif Brodsky, Vladimir Vysotsky, Andrei Voznesensky.
Certaines séries de portraits ont été imprimées par lui et à domicile avec ses illustrations sur une machine à imprimer personnelle. Avec la méthode du « samizdat », une auto-édition clandestine et un tirage de 40 à 50 exemplaires.
« ... Avec Nikolai Egorovich nous nous sommes rencontrés il y a de nombreuses années au prestigieux festival de Svyatoslav Richter, qui se tenait chaque année dans la grange du Meslay, datant du XIIIe siècle et adaptée aux soirées musicales du grand pianiste dans le centre de la France.
Nikolai Dronnikov a dessiné Mstislav Rostropovich, pendant ses concerts ainsi que d'autres artistes. Il n'aimait pas qu’on pose pour lui. Il préférait les croquis dynamiques: un musicien joue, un poète déclame sa poésie, un barde chante, un chef d'orchestre dirige… Au cours d'une de nos conversations, Nikolaï a déclaré qu'il avait peint au total environ un millier de portraits : « il s’est constitué une véritable encyclopédie des russes à l'étranger. Elle comprend non seulement des noms célèbres, mais aussi mes amis et mes connaissances. »
Comment Nikolaï Dronnikov est devenu le chroniqueur de notre diaspora à Paris et a immortalisé Notre-Dame
Nikolai Dronnikov est né dans le village aujourd'hui déserté de Budki dans le région de Toula, qui, selon le dernier recensement, n’est plus habité aujourd'hui que par une seule personne. Après avoir servi dans l'armée, il a reçu une éducation académique - il est diplômé de l'école des Beaux-Arts fondée à la mémoire de 1905 à Moscou, puis de l'institut Surikov. Nikolai Egorovich se déclare être un « cézanniste » (l'adepte de Cézanne), tout en affirmant qu'il était et reste un artiste Russe.
On ignore dans quelle mesure sa fascination pour Cézanne et Matisse a influencé le destin de Nikolaï mais il s'est marié à la journaliste française Agnès, aujourd'hui décédée, qui travaillait comme correspondante de l'Agence France Presse à Moscou.
Épouser une étrangère en Union soviétique, en contournant tous les obstacles, était très difficile à cette époque. Le très puissant rédacteur en chef du journal Izvestia, Alexei Adzhubey, leur a apporté son aide, ainsi que la chance du «dégel » de Krouchtchev. Nikolai et sa femme partent vers la France avec presque rien: Nicolaï brûle dans un ravin ses tableaux, ses journaux intimes et ses archives, comme si il voulait faire table rase du passé.
Les jeunes mariés s'installent dans le nid familial d'Agnès, à Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne. Depuis plus d'un siècle, cette banlieue est l'un des bastions du Parti communiste, et sa ville porte encore les noms de Lénine (ancienne rue Staline), Gagarine, et du chef du PCF, Maurice Thorez. La ville est traversée par le boulevard de Stalingrad. Récemment Marina Vlady s'est installée à Ivry-sur-Seine. Dans le cimetière d’Ivry reposent les célèbres peintres Natalia Goncharova et Mikhail Larionov, dont Nikolai Dronnikov a entretenu les tombes.
Sur le portail de sa maison, Nikolai a accroché un formidable aigle bicéphale, qu'il avait lui-même fabriqué en étain. Le principal symbole russe auquel il reste fidèle aujourd'hui. « Ma maison est française », aime à dire l'artiste à ses invités, mais la terre est russe ; elle a été rapportée de Russie et dispersée sur ma cour. »
Dans la maison et dans la cour, “habite” le Corbeau, capturé par Nikolai dans ses peintures, ses dessins, ses sculptures. « Un oiseau de proie, méchant et annonciateur, qu'il vaut mieux avoir comme ami», m'explique Nikolai Yegorovich. - Elle est mon amulette, mon talisman.
Le corbeau occupe une place particulière dans l'Art. Il a été peint par de nombreux peintres. Il figure également sur le tableau Boyarine Morozova » de Surikov.
Un Ermite à l'écart du courant dominant
Nikolaï Dronnikov est arrivé à Paris quelques années avant d’autres artistes russes – des anticonformistes qui ont dû quitter l'Union soviétique à la fin des années 70. Homme fier et têtu, Dronnikov s'est toujours tenu à l'écart, évitant le courant principal de la « seconde avant-garde russe » en France. Sa relation avec eux avait échoué ; leurs «différences esthétiques » étaient trop fortes.Il se considère comme un skhimnikhe — un ermite qui quitte rarement sa cellule pour voir la vie extérieure. Mais malgré son apparente austérité, c’est un homme réceptif, à l'esprit ouvert, prêt à aider - en particulier ses collègues, qui habitent à Paris.
C'est là qu'il a fait la connaissance du remarquable poète tchouvache Gennady Aigi, et a scénographié sa soirée poétique au Centre Pompidou. Il a imprimé ses recueils de poèmes manuellement à la maison, rendu visite à Aigi à Cheboksary, où il a fait une exposition de ses œuvres. A la mort de son ami, il a réagi avec le livre « Requiem pour Gennady Aigi ».
Il a également eu des échanges étroits avec un descendant du témoin du duel de Pouchkine Konstantin Danzas dont les ancêtres avaient fui vers la Russie pendant la Révolution française en février 1789, et sont retournés en France après la révolution d'octobre de 1917.
Enfin, au cours du XXIème siècle, Nikolai Dronnikov est revenu plusieurs fois en Russie avec ses peintures et ses livres. L'une de ses premières expositions à Ulyanovsk (Simbirsk), la ville natale d'Ivan Goncharov, présentait les illustrations de Dronnikov du roman « Le Ravin ».
Auparavant, Dronnikov avait aidé le musée à retrouver des documents sur Sasha Simon, le dernier descendant de Gontcharov, avec qui il était lié d’amitié. Le journaliste Simon parlait très bien le russe et a travaillé pendant de nombreuses années à Moscou en tant que correspondant du Figaro. Il a écrit une douzaine de livres sur l'Union soviétique et a fini par être expulsé du pays.
Le musée de Saint-Pétersbourg a invité Dronnikov à participer à l'exposition «Paris russe», organisée à l'occasion du 300e anniversaire de la fondation de Saint-Petersbourg. Il a exposé au musée national Pouchkine - d'abord avec ses portraits, puis avec les livres imprimés par l’artiste chez lui à Ivry sur Seine.
Nikolai Yegorovich Dronnikov faisait généreusement des dons de ses peintures en Russie - le musée d'art de Cheboksary a reçu une soixantaine de ses oeuvres. Il a offert au musée Vladimir Vysotsky de Moscou les portraits du célèbre chanteur.
« L’art doit être accessible à tous, que ce soit en Russie ou en France, » Nikolai Egorovich Dronnikov formule ainsi son credo artistique. « Que la peinture soit présente dans chaque foyer. C'est pourquoi je vends mes peintures à bas prix ou que je les offre en cadeau. Je ne pense pas que la beauté sauvera le monde, mais elle peut guérir le cœur et l'esprit, elle peut redresser la personne brisée par le destin, » comme le dit ce professeur, le héros d'un récit de Gleb Ouspenski, qui a vu la Vénus de Milo au Louvre. Avant de rencontrer la statue de la déesse, il se voyait comme un homme brisé, mais après il se sentait pousser des ailes.
— Youri Kovalenko, correspondant de "Literaturnaya Gazeta", Paris